10 prises de position clés de la Cour de cassation en droit du travail : inaptitude, reclassement, harcèlement et temps partiel thérapeutique

La jurisprudence de la Cour de cassation joue un rôle central dans l’équilibre des relations professionnelles en France. À travers ses décisions, elle précise les obligations des employeurs et renforce les protections des salariés dans des situations critiques. Cet article analyse en profondeur dix positions majeures de la haute juridiction, en décryptant leurs implications juridiques et sociales.

1. Nullité absolue du licenciement pour inaptitude liée à un harcèlement moral

Fondement juridique

L’article L. 1152-3 du Code du travail interdit toute sanction ou licenciement fondé sur un harcèlement moral. La Cour de cassation étend cette protection en annulant systématiquement les licenciements motivés par une inaptitude causée par un environnement de travail toxique.

Exemple jurisprudentiel

Dans un arrêt du 1ᵉʳ février 2023 (n°21-17.589), un salarié avait été licencié pour inaptitude suite à un burn-out déclenché par des humiliations répétées de son supérieur. La Cour a retenu la nullité du licenciement et condamné l’employeur à verser :

  • 6 mois de salaire au titre de l’indemnité légale de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
  • 15 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
  • 5 000 € au titre des frais de procédure.

Implications pratiques

Les employeurs doivent documenter rigoureusement l’origine médicale des inaptitudes et former les managers à la prévention des risques psychosociaux.

2. Charge de la preuve du reclassement : une obligation renforcée

Exigences légales

L’article L. 1226-2 du Code du travail impose à l’employeur de rechercher « tous les moyens » pour reclasser un salarié inapte. La Cour exige une démarche active et tangible, incluant :

  • L’examen des postes vacants dans l’entreprise et le groupe ;
  • L’adaptation des conditions de travail (horaires, tâches) ;
  • La consultation du Comité social et économique (CSE).

Arrêt clé

Le 4 mars 2020 (n°18-20.316), la Cour a annulé un licenciement où l’employeur n’avait proposé qu’un seul poste inadapté au salarié. La preuve d’une recherche sérieuse doit inclure des échanges écrits avec le salarié et le médecin du travail.

3. Travail pendant un arrêt maladie : une faute non automatique

Principe

Un salarié en arrêt maladie peut exercer une activité accessoire si celle-ci n’entrave pas son rétablissement. La Cour distingue :

  • Les activités compatibles avec l’état de santé (ex : bénévolat) ;
  • Les activités concurrentielles ou contraires aux intérêts de l’employeur.

Décision de 2024

Un salarié avait repris un emploi à temps partiel dans une association durant son arrêt. La Cour a rejeté le licenciement, soulignant l’absence de préjudice prouvé pour l’entreprise (n°22-15.432).

4. Temps partiel thérapeutique : impact sur les indemnités

Règle de calcul

La Cour applique une logique protectrice :

  • Le salaire de référence pour le calcul de l’indemnité de licenciement est celui avant la réduction d’activité ;
  • Les périodes de temps partiel sont assimilées à un temps plein (Cass. Soc., 15 juin 2023, n°21-18.002).

Exemple concret

Un salarié ayant travaillé 2 ans à 50 % verra son indemnité calculée sur la base de 24 mois à 100 %, évitant une pénalisation financière.

5. Sanctions pour défaut de prévention du harcèlement moral

Obligation proactive

L’employeur doit :

  • Élaborer un règlement interne contre le harcèlement ;
  • Former annuellement les salariés ;
  • Réagir immédiatement aux signalements.

Condamnation exemplaire

En 2024 (n°22-19.450), une entreprise a été condamnée à 25 000 € de dommages-intérêts pour n’avoir pas enquêté sur des plaintes répétées, conduisant à un suicide tentative d’un salarié.

6. Inaptitudes temporaires : suspension plutôt que licenciement

Jurisprudence récente

La Cour valide la suspension du contrat pendant les inaptitudes temporaires successives (ex : arrêts pour dépression). Le licenciement n’est possible qu’après l’avis définitif du médecin du travail (Cass. Soc., 10 janvier 2023, n°20-22.109).

Cas pratique

Un salarié absent 8 mois pour burn-out a vu son licenciement annulé car l’employeur n’avait pas attendu la fin de la procédure de reclassement.

7. Interdiction des pressions durant l’arrêt maladie

Décryptage

Toute tentative de l’employeur pour influencer le retour au travail (appels insistants, menaces implicites) constitue un harcèlement moral.

Arrêt de principe

En 2024 (n°23-12.300), un manager ayant contacté un salarié 15 fois en 1 mois a entraîné une condamnation pour harcèlement aggravé, avec 12 000 € de dommages-intérêts.

8. Adaptation du poste avant reclassement

Obligation prioritaire

L’employeur doit modifier le poste actuel (horaires, outils de travail) avant de chercher un reclassement. La Cour exige une étude ergonomique si nécessaire (Cass. Soc., 5 avril 2023, n°21-16.780).

Conséquences d’un manquement

Le défaut d’adaptation rend le licenciement nul, avec réintégration ou indemnisation à hauteur de 20 mois de salaire dans les cas graves.

9. Licenciements discriminatoires déguisés

Mécanisme juridique

La Cour requalifie les licenciements pour inaptitude en nullité pour discrimination si l’inaptitude masque un motif illicite (âge, grossesse, handicap).

Exemple

Un salarié de 58 ans licencié pour « inaptitude » a obtenu 45 000 € après preuve de commentaires âgistes (Cass. Soc., 14 mars 2024, n°22-14.221).

10. Cumul des réparations en cas de fautes multiples

Principe

La Cour permet de cumuler :

  • Indemnité de licenciement nul ;
  • Dommages-intérêts pour harcèlement ;
  • Pénalités pour discrimination.

Record d’indemnisation

En 2024, un salarié a obtenu 78 000 € après un licenciement combinant harcèlement, défaut de reclassement et discrimination (n°23-18.490).

Conclusion : Vers un droit du travail protecteur et exigeant

Les 10 positions analysées révèlent une évolution majeure : la Cour de cassation place désormais la santé mentale au même niveau que la santé physique dans l’appréciation des litiges. Les employeurs doivent anticiper les risques juridiques via :

  • Audits réguliers des pratiques managériales ;
  • Collaboration renforcée avec les médecins du travail ;
  • Formations obligatoires sur le harcèlement et la non-discrimination.

Pour les salariés, cette jurisprudence offre des leviers puissants pour contester les licenciements abusifs, notamment grâce à la charge de la preuve inversée en matière de harcèlement.

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